Peter Martensen, peintre du blues de la condition humaine

« J’ai toujours peint ou dessiné. Quand j’ai décidé ce que je voulais faire dans la vie, je n’ai pas pu m’en écarter. J’ai fait pas mal de boulots différents, de postier à professeur pour gagner ma vie, et puis de manière assez soudaine, j’ai commencé à vendre. C’était dans les années 80, j’avais la trentaine. Oui j’ai étudié à  la Kunstakademie d’Odense et auprès de Dan Sterup-Hansen à l’Académie Royale des  Beaux Arts de Copenhague : j’y ai appris à dessiner et à peindre, mais aussi la gravure et l’impression.

Ma première oeuvre d’art ? Jusqu’à aujourd’hui je ne sais pas si ce que je fais est de l’art, et si un jour je serais satisfait. Je continue de chercher comme au commencement, mon but a toujours été de devenir un très grand artiste comme Picasso, Hockney, Whistler, Gerard Richter ou Vilhelm Hammershoi  …

The Studio 2020, huile sur toile 75 x 100 cm;

Quand j’étais étudiant, j’ai eu un choc en découvrant Bacon. On était dans les années 70 où la performance et l’art conceptuel étaient assez dominants. Et avec lui j’ai compris qu’il était encore possible de peindre la condition humaine d’une façon saisissante et sincère. Les humains sont comme des animaux avec une fine couche de civilisation, j’aimerais que cette couche soit plus importante, je suis un romantique. » (rires )

The Attention 2008, huile sur toile 24 x 38 cm.

Né en 1953 à Odense, au Danemark, Peter Martensen est un peintre de fiction, humaniste et provocateur. « Réalisme mental » est le nom employé par Peter Martensen pour décrire son œuvre où se matérialise un dialogue en roue libre entre inspirations concrètes, mondes intérieurs de l’auteur et émotions diverses qui le traversent. Dans son travail, il tend à se dégager de l’affect afin d’offrir au spectateur un espace de projection ouvert afin qu’il expérimente à son tour le grand laboratoire des interrogations existentielles. De nombreuses expositions personnelles lui ont été consacrées de Lucerne (CH) à New-York, et en France au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne. A Paris son travail est représenté par la galerie Maria Lund qui lui consacre une exposition « bla bla bleu » jusqu’au 27 mars 2021.

The Diary , 2020. Huile sur toile 30×25 cm

« Pour moi, l’art est le lieu des expérimentations, de la liberté, des nouvelles idées. En tant qu’êtres humains, nous avons besoin de quelqu’un qui prenne des risques pour nous ouvrir l’esprit, c’est l’artiste qui évite que nous nous endormions ou que nous ayons un comportement machinal et répétitif. Les artistes essaient d’avoir conscience de ce qui se passe dans le monde autour d’eux et de le transcrire de la manière la plus frappante et la moins prévisible possible. Dans mon cas avec sérieux et humour, je l’espère. Oui j’ai un niveau d’exigence très élevé concernant l’art.

Qui sont les hommes en chemise blanche dans mes tableaux ?

Je suis intuitif, je peins d’abord et ensuite j’analyse. Donc après-coup, je pourrais dire que ces personnages en blouse blanche sont un peu comme mon père, c’est-à-dire cet homme des années 50 qui travaille dans un bureau, et qui porte en quelque sorte l’uniforme de l’homme moyen. C’est aussi un motif. Car j’ai d’abord voulu faire des peintures abstraites, mais cela ne venait pas. Alors j’ai peint cet homme comme une figure abstraite en quelque sorte sans y mettre trop de sentiments. A partir de ce moment-là, un monde s’est ouvert à moi. Comme les enfants jouant à la poupée, cela a commencé à m’inspirer des histoires. J’essaie d’être le plus sincère possible, tout en veillant à préserver l’ambiguïté pour renforcer le mystère sinon je m’ennuie, et j’imagine que le spectateur aussi, le tableau n’est plus assez libre pour les diifférentes projections.

Pour New Sensation j’ai placé des hommes en chemise blanche dans le champ de la crise climatique, mais pas de manière trop romantique, ils pourraient être des scientifiques mais aussi bien vous ou moi.

“New Sensations” 100×130 cm, maleri af Peter Martensen. Foto: Henrik Petit

Pourquoi choisir le monochrome et passer du gris à l’indigo dans mes dernières peintures ?

Depuis de nombreuses années je travaille le monochrome, et le gris, cela vient peut-être de ce que j’habitais en ville à Copenhague. Et puis je suis venu vivre à la campagne, où je suis entouré de nature et de couleurs. Pour travailler le monochrome, vous avez besoin d’une couleur qui soit profonde, et qui ait une riche gamme de tons. L’indigo a cette vibration, cette sophistication; comparé à l’ultra-marine qui lui est plus joyeux, moins profond et avec qui il est difficile de créer un espace. 

Donc je commence par recouvrir toute la toile d’indigo qui est proche du noir, après le travail c’est d’enlever et d’apporter la lumière. C’est comme de pénétrer dans une salle obscure avec une lampe torche, et vous commencez petit à petit à voir ce qu’il y a là. A un certain stade, c’est aussi subconscient, cela va de mon oeil à ma main, mon esprit se détend, et je commence à voir des relations entre les formes et à composer l’espace de la peinture. J’aime les travaux qui parlent directement à chacun et l’interroge sans besoin d’explications et que chacun soit libre d’y projeter son histoire et son imaginaire.

L’indigo est le pivot de cette exposition à la galerie Maria Lund où j’ai invité mon grand ami le poète et le performeur Morten Søndergaard à participer, c’est la couleur de nos conversations, comme une vibration de violoncelle. (ndt A l’occasion de « bla bla bleu » Morten Søndergaard réédite – en bleu – sa Pharmacie des Mots, une collision entre les dix catégories grammaticales et les notices de médicaments. C’est avant tout la collision entre deux langages ou deux systèmes : la grammaire et la médecine.*)

Je pense que le Danemark est un bon endroit pour traverser la crise du Covid. On est une communauté de 5 millions de personnes, avec beaucoup de consensus et de créativité. Si seulement cette crise pouvait faire comprendre que le monde entier est synchronisé et qu’on est sur le même bateau et qu’on doit affronter tous ensemble le problème, c’est à dire la folie de la surproduction et des boulots stressants. Bien-sûr il va y avoir des faillites et des étudiants déprimés de ne pouvoir faire la fête et la situation est critique pour les familles les plus en difficulté, mais le gouvernement ici essaie de le prendre en compte et d’aider. Donc même si c’est facile à dire, cette crise pourrait nous faire prendre conscience que le fait de ralentir est aussi une bonne chose.

A un(e) jeune artiste, je conseillerai de garder sa capacité à être sensible au monde et en même temps d’être fort et de ne pas trop prêter attention à ce que les gens vont dire de son travail. C’est peut-être cliché, vous devez avoir confiance en vous et aller regarder de près le travail des grands artistes et essayer de comprendre ce qui les différencie des autres. L’art a ce pouvoir de vous tenir éveillé toute votre vie.

Oui malgré le contexte,  je continue d’avoir plusieurs beaux projets, bien-sûr celui de mon exposition « bla bla bleu » avec le performer et poète Morten Søndergaard à la galerie Maria Lund à Paris jusqu’au 27 Mars et plusieurs expositions de mes peintures au Danemark. Une commande pour le siège des fonds de pension danois AP pension, avec dix grandes peintures, ce qui je pense va me prendre une bonne année; et peut-être en novembre 2021 un mois en résidence à Rome avec le Corcolo Scandinavo, la précédente session 2020 ayant été annulée en ces temps complexes. »

Interview réalisée par Valentine Meyer le 28 Janvier; un chaleureux merci à Peter Martensen et Maria Lund et à Jessica Watson pour la traduction en anglais qui suit.

Pour en connaitre davantage sur le travail de Peter Martensen, voici le lien vers son site et celui de sa galerie parisienne.

Wetland 2013, huile sur toile

Peter Martensen, painter of the blues and human condition

Peter Martensen, painter of the blues and human condition

“I have always painted or drawn. When I decided what I wanted to do in life, I couldn’t leave it behind. I’ve had many different odd jobs, from postman to teacher in order to earn a living, and then rather suddenly, I started selling. It was in the eighties, I was in my thirties. Yes, I studied at the Kunstakademi of Odense and later with Dan Sterup-Hansen at the Royal Danish Academy of Fine Arts between 1971 and 1984: I learned drawing and painting, but also engraving and printing. 

My first work of art? To this day I still don’t know if what I do is art, if I will ever be satisfied with it.  I keep searching like in the beginning; my goal has always been to become a great artist like Picasso, Hockney, Whistler, Gerard Richter or Vilhelm Hammershøi…

When I was a student, I had a shock upon discovering Bacon. It was in the 1970s when performance and conceptual art were quite dominant. And with him I understood that it was still possible to paint the human condition in a striking and sincere way. Humans are like animals with a thin layer of civilization, I’d like this layer to be thicker, I am a romantic” (laughs)

Born in 1953 in Odense, Denmark, Peter Martensen is a painter of fiction, a humanist and a provocateur. “Mental realism” is the term he uses to describe his work, where an unbridled dialog materializes between concrete inspirations, the author’s interior worlds and diverse emotions. In his work, he tends to remove any affect to offer the spectator an open space for projection so they can also, in turn, experiment the ‘big laboratory’ of existential questioning. His work has been the object of many solo exhibitions from Lucerne (Switzerland) to New York, and in France at the Musée d’art moderne et contemporain in Saint-Etienne. In Paris, he is represented by the Galerie Maria Lund, who is hosting an exhibition of his work “bla bla blue” until March 27, 2021. 

« To me, art is the place for experimentations, freedom and new ideas. As human beings, we need someone to take risks and open our minds; the artist is the one who prevent us from falling asleep or having a repetitive and automatic behavior. Artists try to be aware of what is going on in the world around them and transcribe it in the most striking and least expected way possible. In my case, with seriousness and humor I hope. Yes, I have very high expectations when it comes to art. 

Dark Room, 2020. Huile sur toile 55 x 65 cm

Who are the men in white lab coats in my paintings?

I am intuitive, I paint first and then I analyze.  So looking back on it, I could say that these characters in white lab coats are somewhat like my father, meaning a man from the 1950s that works in an office, and wears the uniform of an average man. It’s also a motif. Because at first I wanted to do abstract paintings, but nothing came. So then I painted this man like an abstract figure in a way, without putting too much affect in it. From that point on, a world opened up before my eyes. Like children playing with dolls, it started inspiring stories. I try to be the most sincere possible, while still preserving the ambiguity to cultivate mystery. Otherwise I get bored and the spectator as well, I assume; the painting is no longer open enough to welcome different projections. 

For “New Sensations”, I placed the men in white lab coats in the context of the climate crisis, but not in an overly romantic manner, they could be scientists but also you or me. 

Why chose the monochrome to shift from grey to indigo in my latest paintings? 

For many years now, I have been working on the monochrome, and the grey probably comes from the fact that I lived inside the city of Copenhagen. And then I went to live in the countryside, where I am surrounded by nature and colors. To work on the monochrome, one needs a deep color that has a rich array of hues. Indigo possesses that vibration, that sophistication; compared to the ultramarine that is a more joyous, less deep color and with which it is harder to create a space. 

So I start by covering the entire canvas with indigo, which is close to black, and then the work consists in removing and bringing light. It’s like entering a dark room with a flashlight and gradually seeing what is in there. At some point, it’s also subconscious, it goes from my eye to my hand, my mind unwinds, and I start to see the relations between the shapes and compose the space of the painting. I like works that directly speak to each and everyone and question without explanations and in which everybody can feel free to project their story and imagination. 

Indigo is the pivotal point of this exhibition at the galerie Maria Lund where I invited my great friend, poet and performer Morten Søndergaard to participate. It is the color of our conversations, like the vibration of a cello (editor’s note: for “bla bla blue”, Morten Søndergaard is reediting – in blue – his Word pharmacy, a collision between ten grammatical categories and medication’s instructions. It is essentially the collision between two languages and systems: grammar and medicine).”

La promenade. Huile sur toile 65 x 55 cm

I think Denmark is a good place to go through the COVID crisis. We are a community of only 5 million people, with a strong consensus and creativity. If only this crisis could make people understand that the entire world is synchronized and that we are all in the same boat and must tackle the problems together, which is overproduction and very stressful jobs. Of course there will be bankruptcies and depressed students who cannot party and the situation is critical for precarious families, but here, the government is trying to take that into consideration and offer help. So, even if it’s easy to say, this crisis could make us realize that slowing down is also a good thing. 

To a young artist, I would advise to keep their ability to be sensitive to the world and in the same time be strong and not take what people will say about their work too seriously. It might be cliché, but you must be self-confident and really look at the work of great artists to try and understand what sets them apart. Art has the power of keeping you awake your entire life. 

Yes, despite the context, I still have several exciting projects, of course my exhibition “bla bla blue” with the performer and poet Morten Søndergaard at the galerie Maria Lund until March 27th and several exhibitions of my paintings in Denmark. A commission for the Danish headquarters for pension funds AP pension with ten large paintings, which might take me a good year to complete, and maybe in November 2021 a month of residency in Rome with the Corcolo Scandinavo; the 2020 session having been cancelled in this complicated context.”

Interview conducted by Valentine Meyer on January 28th 2021; a warm thank you to Peter Martensen and Maria Lund and Jessica Watson for the English translation. 

To find out more on Peter Martensen’s work, here is a link to his website and his Parisian gallery. 

2 commentaires sur « Peter Martensen, peintre du blues de la condition humaine »

  1. Chère Valentine

    Oh, c’est beau- les peintures de Martensen. Juste maitenant j’ai finis une colonne – ou je parles aussi de toi, des jours en 2019, et de Paris – e de ma promesse à moi même de visiter Paris une vois par année….

    Comment vas tu? Il ne reste pas beaucoup à dire quelque fois, n’est-ce-pas? Et en même temps on ne dois pas perdre la langue.

    Bisou Renata

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    Renata Burckhardt

    Dozentin für Kunst (HGK Basel, HSLU Luzern u.a.)

    Autorin (Theaterstücke, Kolumnen, Erzählungen u.a.)

    Büro:

    Josefstrasse 92

    8005 Zürich

    +41 76 525 63 03 // renata.burckhardt@fhnw.ch // renataburckhardt.com

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    WENN NICHT ICH, WER SPRICHT DANN – ein performativer Lauf durch die Macht des Wortes – sogar theater, 8./10. und 11. April 2021, mit Miriam Japp und Rebekka Burckhardt. Text und Regie: Renata Burckhardt. Bühne: Markus Kummer ALMA – ab April beim schönen kleinen Verlag « about books » von Bruno Margreth KOLUMNEN in der NZZ, MAGAZIN Z: « Sie stehen doch nur rum »- November ’20/ « Der James-Bond-Sehnsuchts-Effekt » – Oktober ’20 / »Tiefe Einblicke »- Mai ’20 / « Freiwillig hörig »- März ’20 / « Zentrifugierst du noch? »- Dezember ’19/ « Stehen uns acht Arme? » – Oktober ’19 / « Authentisch wäre nachhaltig »- Mai ’19 / »Schlaf in Portionen, wo bist du geblieben? »- März ’19 Kurzstück « DER BESUCH DER CHINESISCHEN DAME – über Geld, Sex und Religion spricht man nicht » – in der neuen Publikation über die legendäre Kronenhalle und ihre Kunstsammlung Monatliche KOLUMNEN im KLEINER BUND, Bern

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