« J’ai choisi de devenir artiste, ce n’était pas une vocation mais une décision. Je refusais d’entrer dans le monde du travail. Aux Abattoirs à Toulouse, j’ai visité une exposition de Joël Hubaut. J’ai rencontré son travail d’artiste et compris qu’il arrivait à en vivre. Alors pourquoi pas moi ? Cela me donnait un espace de liberté d’expression dont j’ai besoin pour mes propositions et que je ne trouvais pas ailleurs. »

Très vite, après cette première décision, il décide de se tourner vers les autres, ceux qui connaissent des accidents de parcours, et de travailler en collaboration avec eux. Il choisit de commencer par faire des ateliers avec des adolescents en prison. Première expérience fondatrice qui donnera Pays de Cocagne (2010). Il construit pour les mineurs incarcérés une grosse boite noire en carton, une espèce de cabane. Puis il donne aux participants de l’argile pour fabriquer un objet qui leur permettrait de se mettre en scene, de s’exprimer devant une caméra à l’intérieur de la cabane où ils peuvent échapper au regard des gardiens et des caméras de surveillance. Une fois le projet finalisé, il eut quelques petits problèmes avec l’administration qui a jugé ces objets en terre trop violents et pas assez dans un esprit de reinsertion; les jeunes avaient fabriqués des armes.
Surtout connu pour ses dessins à la limaille de fer (qu’on pourrait imaginer provenant de barreaux limés) sur support aimanté, représentant des prisons, leurs architectures et leur plans, il continue depuis 10 ans à travailler en résidence avec des détenus en établissement pénitencier : Mulhouse, Nice, Nimes, Béziers, Perpignan, Tasmanie …Il a fait de sa voiture, sa chambre connectée sur GPS.
Plutôt que de se regarder le nombril, il trouve plus intéressant d’aller rencontrer des spécialistes d’une situation donnée, en l’occurence le milieu carcéral avec ses contraintes, ses névroses et ses empêchements pour voir les actions mises à l’oeuvre pour tenir, ne pas casser, s’inventer des solutions pour une vie meilleure. Et ce qui est imaginé en prison peut aussi être source d’inspiration pour l’ensemble des individus dans une société très normalisante sur laquelle se heurtent les aspirations individuelles.
Comment garder le désir, la dignité ? Comment résister, construire et se reconstruire ?
C’est aussi ce dont il est aussi question avec cette première exposition monographique à Paris au Palais de Tokyo. A noter que son travail avait déjà été repéré et exposé par la maison Salvan à Labège, par la Chapelle St Jacques St Gaudens, au Centre d’art le Lait d Albi ou encore à Licence III à Perpignan.
L’huile et l’eau, fonctionne un peu comme une scène de théâtre façon Maiakovski avec certains éléments de scénographie propres au vocabulaire de Nicolas Daubanes, les dessins à la limaille de fer qui semblent se liquéfier, il s’agit de l’Hotel de Ville de Paris incendié pendant la commune (1871) et du Ministère des Finances .

Avec le béton attaqué par du sucre, il reprend à son compte la poétique du geste vain des résistants, ces gestes qui génèrent une évasion au moins pour l’esprit. Et puis des nouveautés sont présentées avec cette curieuse greffe d’un frigo Carte D’Or dont on ne sait pas trop si elle permet à l’objet d’être tenu ou de casser; et cette collaboration avec le rappeur marseillais Akhenaton, choisi comme porte-voix. Il prête la sienne pour incarner ce projet axé sur l’insurrection collective et individuelle, avec des textes choisis avec l’artiste, exprimant l’expérience de vie de femmes et d’hommes confrontés à des contraintes et les ressources de vie inventées pour ouvrir de nouveaux possibles.
Quand on lui demande ses envies et ses projets futurs , il nous parle d’une résidence en prison sur une ile en Norvège où les détenus sont en libre parcours et vivent dans une ferme. Et puis de continuer à raconter l’Histoire, des histoires portées aussi par la voix, pourquoi pas sous une forme de théâtre-rap.
Nicolas Daubanes est né en 1983. Il vit et travaille à Marseille. Lauréat du Prix des Amis du Palais de Tokyo, il y bénéficie d’une exposition monographique L’huile et l’eau. Il est représenté par la Galerie Maubert qui lui accordera un Focus lors de la prochaine édition de Drawing Now. https://galeriemaubert.com/
Interview réalisée par Valentine Meyer le 18 février 2020 au Palais de Tokyo.