VOID, l’art de matérialiser l’onde sonore

VOID Portrait

VOID est un tandem d’artistes visuels composés d’Arnaud Eeckhout (1987, BE) et de Mauro Vitturini (1985, IT).

Lauréats du Salomon Foundation Residency Award 2018, Arnaud et Mauro ont fondé VOID en 2013 autour d’une ambition commune : utiliser le son comme médium pour représenter la réalité. Ils l’interprètent empruntant les formes de différents domaines : installations, sculptures, objets, dessins, vidéos, peintures, performances et livres. VOID est représenté par la Galerie Papillon à Paris et la galerie LMNO à Bruxelles. Il bénéficie actuellement d’une exposition monographique SARA au Musée Botanique à Bruxelles.

« Nous nous sommes rencontrés à la fin de nos études, Mauro revenait de Londres. Nous avons tous les deux étudié les Beaux Arts, Mauro la peinture, et moi plusieurs disciplines. Nous avions un fort interêt commun pour le son, traité davantage comme medium en arts plastiques, que dans sa dimension technique. Nous sommes en quelque sorte des musiciens ratés, des autodidactes en la matière. (Rires). 

Nous avons décidé de nous installer tous les deux à Bruxelles en 2013 et choisi de créer notre studio : « Void ». Ce choix de nom était comme un manifeste. Le son n’a pas de corps, il a besoin de parasiter un matériau pour prendre forme. Alors comment réussir à creuser cette matière qui n’en n’est pas une ? Comment rendre visible ce qui ne l’est pas ?

Notre définition de l’art ?

Ce serait de générer des objets, un peu comme une philosophie appliquée à l’objet. L’idée verse dans la réalité, on peut la regarder, lui tourner autour. Car la réalité nous rattrape vite, il y a par exemple, la gravité, la résistance, la durée des matériaux. Ces contraintes nous permettent de penser le concept autrement. Ce serait comme des crash-tests pour les scientifiques, qui mesurent et enregistrent les paramètres et sortent de la théorie.

L’art c’est aussi un language, différent et plus complexe que la parole. Selon nous, il permet une plus grande liberté, on peut plus facilement sortir d’un cadre donné. Il permet de dire des choses difficilement traduisible en mots, ou en tous cas en peu de mots, car actuellement tout s’accélère et il faut être bref. L’art c’est aussi comme la recherche, la vision pré-voyante, où l’on parle de la société dans laquelle on vit.

Une de nos premières oeuvres c’est Ostéophonie, une pièce pour laquelle on a transformé un os animal en haut-parleur. Ce qui diffuse le son, ici, c’est l’os. 

Osteophony, 2013

En revanche pour Vanitas, l’os est utilisé pour lire un disque vinyle. Tout ce qui vient lire un sillon, résonne et produit un son, comme la roue d’une cariole sur une route pavée.

Vanitas, 2019

Notre dernière oeuvre, SARA est une vaste installation immersive conçue pour le Musée Botanique à Bruxelles. Nous avons imaginé une société fictive SARA (Souvenir Archival Recording Apparatus) qui propose une exploitation industrielle d’une technique ancienne d’enregistrement visible du son. C’est le détournement contemporain de la mécanique du phonautographe inventé au XIXe siècle par Edouard-Léon Scott de Martinville (17 ans avant l’invention du phonographe par Edison).

Aujourd’hui le spectateur est invité par une voix de synthèse, l’avatar numérique de SARA, à livrer un souvenir personnel dans une cabine d’enregistrement. Un programme informatique transmet le son en différé à l’unité de production. Trois cylindres recouverts de papier sensibilisés au noir de fumée tournent sur eux même. Un stylet vibre et grave des sillons blancs dans la suie. Les techniciens en combinaisons blanches veillent sur l’unité de production. Toutes les feuilles gravées par les machine sont accrochées au fur et à mesure et forment ainsi un paysage des souvenirs des visiteurs.

Les premiers retours d’expérience sont très positifs, du fait du côté participatif. Nous sommes surpris de voir combien les gens sont émus, certains pleurent au sortir de la salle, malgré un environnement de laboratoire assez déshumanisé du fait de cette voix de synthèse qui les guide.

SARA, Galerie des souvenirs

Cela pose aussi la question de la fermeture de l’exposition. Que fait on après des enregistrements sonores, des enregistrements sur papier?  Que garde-t-on ? Que supprime-t-on ?

Nous avons décidé de supprimer les enregistrements sonores, et de garder ceux fixés sur le noir de fumée ce qui est absurde car comme le dit SARA : « Personne ne sait de quoi le futur sera fait, c’est pourquoi le papier et le noir de fumée sont aujourd’hui la solution la plus durable pour garantir la conservation de vos plus précieux souvenirs ».  Et puis cette oeuvre est anachronique vu le temps très long nécessaire à l’enregistrement par rapport aux vitesses actuelles, et cela nous intéresse aussi. 

SARA, Souvenir gravé sur noir de fumée

Donc en partant du son, on inclut d’autres choses dans la réflexion comme par exemple la question de la  finitude de la technologie; et on ouvre un espace, un espace du souvenir et de la quête de traces mémorielles aussi fugaces soient elles.

Ce qu’on veut éviter c’est une pratique du son pour le son, et l’écueil de devenir hermétique. Donc on essaie toujours d’ouvrir sur une autre dimension.

Pour Mappe Sonore, c’est l’idée qu’on peut représenter un espace par le son. Ce concept serait l‘enfant que Georges Perec aurait eu avec Max Neuhaus. Pour les réaliser, on reste à l’intérieur du lieu pendant plusieurs heures, et on dessine, on note ce qu’on entend in situ, par exemple une route qui passe à côté. Ce dessin c’est comme un paysage rendu en négatif par les sons.

Mappe Sonore 2019

Avec Composition c’est davantage pictural. On a utilisé un matériau acoustique, conçu pour absorber les sons. On attaque sa surface, on sculpte aussi la manière dont les ondes vont se répartir dans l’espace. C’est le même principe pour Orgue Basaltique, on construit visuellement dans l’espace, petit à petit l’installation annule l’echo du lieu. La forme visuelle perturbe le son de l’espace et vice-versa.

Composition 2019
Orgue Basaltique 2017

Ce qui a le plus évolué dans notre manière de travailler, c’est notre plus grande ouverture mentale certainement du fait de notre travail et de nos connaissances accrues sur les matériaux. Au départ, on avait certainement une représentation du son plus directe, petit à petit on a ouvert. 

Nous n’avons pas encore de projet spécifique pour les NFT, que l’on regarde avec une grande curiosité. La démarche de Damien Hirst de réaliser 10 000 peintures et de demander aux collectionneurs de choisir entre la peinture et le NFT est jusqu’à maintenant la proposition peut-être la plus intéressante.

Il y a certainement quelque chose à jouer, si l’on va chercher vers le conceptuel, le protocole, l’archivage car nous ne voyons pas l’intérêt de traduire une image en NFT.
C’est comme une discussion que j’ai avec mes étudiants qui veulent faire un art écologique sans considérer d’ailleurs ni les transports ni les matériaux. Ce à quoi je réponds que l’art est toujours un gaspillage, car pas vital au sens premier du moins. Et les NFT c’est comme les bitcoins, c’est hyper-énergivore.

L’homme qui tend une parabole vers le ciel, sculpture 2021-2022

Ceux qui nous inspirent sont nombreux. Musicalement, John Cage et les musiciens expérimentaux minimalistes. On aime beaucoup sa performance « 4’33 », car si on ne voit pas l’image on ne comprend rien. Olafur Eliasson pour son côté recherche scientifique. L’exposition d’Anne Imhoff au Palais de Tokyo était inspirante surtout pour le montage, la mise en scène, ses choix de matériaux et de couleurs. Ou encore, Alva Noto, le pseudo de Carsten Nicolai, quand il joue avec Ryuichi Sakamoto.

Nous venons d’une culture rock à la base, on aime les Nirvana et puis le noise et le stoner, des trucs un peu sombres, agressifs et méchants. (rires)

A un(e) jeune artiste nous conseillons, de travailler sans arrêt, de triturer la matière.

De se lancer si il-elle est vraiment motivé(e), pas pour les paillettes, car c’est un milieu stressant, on travaille beaucoup, en fait on n’arrête pas. (Rires). Le boulot à l’atelier ne représente que vingt pour cent de notre temps. S’il faut être sans arrêt être dans la recherche, il faut aussi être entrepreneur, gérer les gens, s‘occuper des PR, faire le site internet, penser et écrire le catalogue, et puis la communication et les medias sociaux. C’est loin d’une vision romantique de certains étudiants qui n’existe plus vraiment.

Cela dit, après on s’amuse à fond. On fonctionne comme un studio, c’est un travail d’équipe, c’est important. Cela nous permet aussi de diminuer notre charge mentale, en choisissant à chaque fois qui est le chef de projet. On leur conseille également de toujours rester ouverts, d’écouter les critiques et de ne pas oublier la recherche.

One Drop 2013

Comme actualité et projets, l’installation SARA est présentée jusqu’au 17 Avril au Botanique à Bruxelles. Nous présenterons des pièces sur Art Brussels le mois prochain avec notre galerie belge LMNO (du 28 Avril au 1er Mai). Nous avons un projet de collaboration Art-Sciences avec l’Université de Namur et enfin à la rentrée cet automne, une belle exposition collective est prévue à la Fondation VKV Mesher à Istanbul.

Interview réalisée par Valentine Meyer le 23 Mars 2022. Chaleureux remerciements à Arnaud Eeckhout Mauro Vitturi, Claudine et Marion Papillon, Marion Prouteau.

Pour en savoir davantage sur le travail de VOID, voici deux liens vers leur site personnel et le site de leur galerie parisienne.

https://www.collectivevoid.com/works

http://galeriepapillonparis.com/?oeuvre/VOID&navlang=fr

VOID is a tandem of visual artists composed of Arnaud Eeckhout (1987, BE) and Mauro Vitturi (1985, IT). 

Winners of the 2018 Salomon Foundation Residency Award, Arnaud and Mauro founded VOID in 2013 around a common ambition to use sound as a medium to represent reality. They interpret it in the form of installations, sculptures, objects, drawings, videos, paintings, performances and books. VOID is represented by Galerie Papillon in Paris and Galerie LMNO in Brussels. He currently has a SARA monographic exhibition at the Botanical Museum in Brussels.

« We met at the end of our studies, Mauro was coming back from London. We both studied Fine Arts, Mauro Painting, and I studied several disciplines. We had a strong common interest for sound, treated more as a medium in plastic arts, than in its technical dimension. We’re kind of failed musicians, self-taught musicians. (Laughter). 

We both decided to move to Brussels in 2013 to create our studio: «Void». This choice of name was like a manifesto.  Sound has no body, it needs to parasitize a material to take shape. So how can you dig into this material that is not? How can you make visible what is not?

Our definition of art?
It would be to generate objects, a bit like a philosophy applied to the object. The idea pours into reality, we can look at it, turn it around. Because reality quickly catches up with us, there is, for example, gravity, resistance, the duration of materials. These constraints allow us to think of the concept differently. It would be like crash tests for scientists, who measure and record parameters and go beyond theory.
Art is also a language, different and more complex than speech. In our opinion, it allows greater freedom, it makes it easier to get out of a given framework. It makes it possible to say things that are difficult to translate into words, or at least in a few words, because things are currently accelerating and we have to be brief. Art is also like research, the vision of vision, where we talk about the society in which we live.

One of our first works is Osteophony, a piece for which we transformed an animal bone into a loudspeaker. What’s broadcasting the sound here is the bone.

But for Vanitas, bone is used to play a vinyl record. Anything that comes to play 

Our latest work, SARA is a vast immersive installation designed for the Botanical Museum in Brussels. We imagined a fictional company SARA (Souvenir Archival Recording Apparatus) which offers an industrial exploitation of an old technique of visible sound recording. It is the contemporary misappropriation of the mechanics of the phonautograph invented in the 19th century by Edouard-Léon Scott de Martinville (17 years before the invention of the phonograph by Edison).

SARA 2022

Today the spectator is invited by a voice of synthesis, the digital avatar of SARA, to deliver a personal memory in a recording booth. A computer program transmits the recorded sound to the production unit. Three cylinders covered with smoke-black sensitive paper spin on themselves. A stylus vibrates and engraves white grooves in soot. Technicians in white suits look after the production unit. All the sheets engraved by the machine are hung as they go and thus form a landscape of the memories of the visitors.

The first feedback is very positive, because of the participatory side. We are surprised to see how moved people are, some cry when they leave the room, despite a laboratory environment that is quite dehumanized because of this synthetic voice that guides them.

This also raises the question of closing the exhibition. What do we do after with the sound recordings, with the paper recordings? What is kept? What is deleted?

We decided to delete the sound recordings, and keep the ones fixed on the smoke black which is absurd because as SARA says: « Nobody knows what the future will be made of, which is why paper and smoke black are today the most durable solution to guarantee the preservation of your most precious memories ». And then this work is anachronistic given the very long time required to record compared to the current speeds, and this interests us too.

So starting from sound, we include other things in the reflection such as the question of the finiteness of technology; and we open up a space, a space of remembrance and the search for memory traces as fleeting as they are.

What you want to avoid is sound practice for sound, and the pitfall of becoming airtight. So we always try to open up to another dimension. 

Mappe Sonore

For Mappe Sonore it’s the idea that you can represent space by sound. This concept would be the child that Georges Perec would have had with Max Neuhaus. To realize them, we stay inside the place for several hours, and we draw, we note what we mean in situ, for example a road that passes by. This drawing is like a landscape rendered negative by sounds.

Composition, 2019

With Composition, it’s more pictorial. We used an acoustic material, designed to absorb sounds. We attack its surface, we also sculpt the way the waves will be distributed in space. It is the same principle for Orgue Basaltique, we build visually in space, little by little the installation cancels the echo of the place. Visual form disturbs the sound of space and vice versa.

What has changed the most in our way of working is our greater mental openness, certainly due to our increased work and knowledge of materials. At first, we certainly had a more direct representation of the sound, little by little we opened.

We do not yet have a specific project for NFT, which we look at with great curiosity. Damien Hirst’s approach of producing 10,000 paintings and asking collectors to choose between painting and NFT is perhaps the most interesting proposal so far. 

There is certainly something to play, if we look at the conceptual, protocol, archiving because we don’t see the point of translating an image into NFT. It’s like a discussion I have with my students who want to do an ecological art without considering either transport or materials. To which I reply that art is always a waste, because not vital in the first sense at least. And NFT is like bitcoins, it’s hyper-energy-intensive.

1024 Mouths 2013

There are many who inspire us. Musically, John Cage and the experimental minimalist musicians. We really like his performance « 4’33 », because if we don’t see the image we don’t understand anything. Olafur Eliasson for his scientific research. Anne Imhoff’s exhibition at the Palais de Tokyo was inspiring especially for the editing, the staging, and her choice of materials and colours. Or Alva Noto, Carsten Nicolai’s nickname, when he plays with Ryuichi Sakamoto.

We come from a rock culture at the base, we like Nirvana and then noise and stoner, kind of dark, aggressive and nasty stuff. (Laughter) 

A young artist we advise, to work non-stop, to grind the material.

To jump if (s)he’s really motivated, not for glitter, because it’s a stressful environment, you work a lot, you actually don’t stop. (Laughter). Studio work is only 20 percent of our time. If you have to be constantly in research, you also have to be an entrepreneur, manage people, take care of PR, do the website, think and write the catalog, and then communication and social media. This is far from a romantic vision of some students that no longer really exists.

That said, after we have a great time. We work like a studio, it’s a team effort, it’s important. This also allows us to reduce our mental load, choosing each time who is the project manager.  They are also advised to always remain open, to listen to criticism and not to forget research.

As news and projects, the SARA installation is presented until April 17 at the Botanique Museum in Brussels. We will be presenting pieces on Art Brussels next month with our Belgian gallery LMNO (from April 28 to May 1). We have an Art-Sciences collaboration project with the University of Namur and finally this autumn, a beautiful collective exhibition is planned at the VKV Mesher Foundation in Istanbul.

Interview conducted by Valentine Meyer on March 23, 2022. Special thanks to Arnaud Eeckhout Mauro Vitturini, Claudine and Marion Papillon, Marion Prouteau.

To learn more about the work of VOID, here are two links to their personal site and the site of their Parisian gallery.

https://www.collectivevoid.com/works

http://galeriepapillonparis.com/?oeuvre/VOID&navlang=fr

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :