Aurélien Dougé, artiste chorégraphique

Portrait Aurélien Dougé ©Ikram Benchrif

« En fait je suis devenu danseur grâce aux rencontres. Je viens d’un village rural. Ma soeur faisait de la danse, alors j’ai été assister à un cours aussi. Et puis ça s’est enchaîné, du fait de rencontres et de professeurs qui m’ont conseillé, de fil en aiguille j’ai fait le conservatoire. J’ai suivi une formation de danseur classique très institutionnelle grâce à ces rencontres.

Mais tout au long de ce parcours, j’ai toujours mené mes propres recherches, avec les étudiants de l’Ecole des Beaux arts à Leipzig ou encore à Lyon. J’ai glissé progressivement vers la création. Je me suis rendu compte que l’acte de créer correspondait davantage à ma personnalité, cela me nourrissait davantage toujours en terme de rencontres d’ailleurs.

Aujourd’hui je me définis plutôt comme un artiste chorégraphique que comme chorégraphe. Mon activité c’est de créer des projets autour du corps dans l’espace, et ce n’est pas juste axé sur l’écriture du mouvement. »

Aurélien Douge-DarkRise@ Julien Benhamou

Né en 1986, Aurélien Dougé a été formé à la danse au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon. Entre 2007 et 2014, il a été interprète pour Dantzaz Compania/Ballet de Biarritz (Espagne/France), l’Opéra de Leipzig (Allemagne), la compagnie Norrdans (Suède) et le Ballet du Grand Théâtre de Genève (Suisse). Aujourd’hui, il poursuit son parcours de danseur et de performeur avec la chorégraphe Cindy Van Acker et le metteur en scène Roméo Castellucci. Conjointement, au sein d’Inkörper Company qu’il a fondé, Aurélien Dougé mène ses propres recherches et créations en collaboration avec des artistes, des techniciens, des penseurs de différents horizons. Ses  créations ont récemment été présenté à Genève (Espace d’art contemporain – Halle Nord, Association pour la Danse Contemporaine (ADC), Festival Antigel, MEG, Musée d’Ethnographie. En France (maison des arts-centre d’art contemporain de Malakoff, festival d’art de l’Estran), en Italie, à Naples (festival Altofest) ou Matera (Matera 2019 – Capitale Européenne de la Culture). Actuellement il prépare une nouvelle création pour 2022.

« Depuis 2018 et Mouvement d’ensemble, j’explore le champ de l’installation et celui de la performance. Ce qui m’intéresse c’est de confronter le spectateur à des environnements ou des dispositifs qui provoquent une expérience directe physique, sensorielle et psychologique. Je sonde la relation du corps à l’espace, j’enquête sur nos rapports aux autres, aux vivants, aux non-vivants, sur la porosité avec ce qui crée un milieu. Cela remet en question la place de l’humain.

J’aime bien la définition du milieu donnée par Vinciane Despret  (in Magazine Mouvement 105, Après la nature, janv 2020.) : 

« « Milieu »permet d’éviter le terme « environnement », qui a tous les défauts, puisqu’il nous met dans une position à la fois centrale et extérieure. Ce qui nous environne, c’est ce qui est autour et dont nous ne faisons pas partie. Avec « milieu » en revanche, on ne se sait pas qui est au centre, et ça pose la question de savoir qui compte. Il faut alors mener une sérieuse enquête pour l’inventorier complètement ; et, même quand elle est finie, on n’est jamais certain de ne pas avoir oublié quelqu’un ». 

Mouvement d’ensemble – 02.2018, Halle Nord, Genève © Perrine Cado

En terme de processus de création, je suis toujours très attiré par la matière comme la glace, la terre, le sable ou l’immatériel comme la lumière, l’obscurité, le son, la vapeur d’eau. Pour Mouvement d’ensemble (Sacre) je me suis servi de ces matières naturelles pour agencer l’espace. Il y avait aussi un mode de répétition et d’endurance, de gestes simples et archaïques pour mieux interroger nos modes de perception du temps et de l’espace, nos habitudes de regards, nos préjugés d’attention ou d’inattention. Comme l’écrivait Perec, j’aime «faire ressurgir l’infra-ordinaire ». 

La question que je me pose constamment, est comment préparer le public, le « conditionner » jusqu’à l’arrivée dans l’espace. Ce sont souvent différents seuils invisibles qu’il va devoir passer avant d’entrer dans l’espace de représentation. De là je travaille toujours en collaboration avec principalement Perrine Cado et Rudy Décelière et les performers qui vont aussi faire évoluer le dispositif et accompagner le visiteur dans son expérience. 

Ainsi dans Au risque de, les spectateurs sont accueillis par les performers. Des binômes sont formés entre inconnus, où l’un guidera l’autre les yeux clos pendant un quart d’heure à l’extérieur du bâtiment avant d’inverser les rôles et ensuite de rejoindre l’intérieur du bâtiment pour l’installation proprement dit. Il s’agit de faire l’aveugle pour tester sa confiance en autrui, l’autre qu’on ne connait pas et d’être immergé dans une réalité parallèle.

Oui l’artiste est celui qui propose une expérience différente du réel. Selon moi l’art révèle autant qu’il façonne notre appréhension du monde. Il amène à réfléchir ou ressentir différemment.

Mouvement d’ensemble Inkörper company ©Perrine Cado

Mon travail de réflexion s’inspire beaucoup de philosophie et d’anthropologie contemporaines, en plus de l’expérience du réel, de la nature et du travail des précédentes créations.

Les livres qui m’accompagnent sont Les Nourritures, Philosophie du corps politique de Corinne Pelluchon qui parle de la vulnérabilité pour repenser la relation de l’homme au monde; les ouvrages de Bruno Latour et ceux d’Augustin Berque, Rupture(s) de Claire Marin, La Fragilité de Miguel Benasayag, et puis ceux du géographe voyageur et anarchiste Elisée Reclus, considéré comme le précurseur de la pensée écologique. Eloge du risque d’Anne Dufourmantelle m’a inspiré le titre de ma précédente création.

J’ai très bien vécu le confinement. Je finissais juste ma résidence à la Cité des Arts à Paris que j’ai obtenu grâce à la bourse Simon I. Patiño -Ville de Genève. Cela m’a donné deux mois supplémentaires pour continuer ma réflexion sur les thèmes sur lesquels je travaille déjà depuis longtemps : la fragilité, la précarité, le rapport aux autres et au milieu. Là avec le Covid 19, c’ est devenu une expérience très concrète. Et puis tous les jours dans Le Monde il y avait un article sur ces sujets. 

Ce qui m’a manqué c’est le rapport physique aux autres et que toute activité culturelle soit stoppée, ne plus pouvoir aller au théâtre par exemple. Le fait que tout s’arrête d’un coup, cela questionne. Pas uniquement dans ma pratique mais aussi dans la manière de vivre au quotidien,  je m’interroge davantage sur comment participer concrètement à la construction de la société dans laquelle j’ai envie de vivre, et au delà, de laisser derrière moi.

J’aimerais que l’on retienne de cela, la question de la précarité, et de la responsabilité de chacun envers les autres.

Carnet de croquis.Tous en ce monde ©Aurelien Douge

Tu m’interroges sur mes projets. Justement j’ai pu profiter de cette résidence à la Cité des Arts pour en débuter un nouveau,  en écho à Mouvement d’ensemble et Au risque de. J’ai emprunté le titre à un haïku du poète japonais Kobayashi Issa (XIXème siècle): 

Tous en ce monde sur la crête d’un enfer à contempler les fleurs. 

Je l’avais trouvé avant la pandémie qui a renforcé cette réflexion. Cette prochaine création renvoie à notre situation précaire, à notre façon façon d’appréhender notre époque-bascule autant que notre avenir incertain. C’est prévu pour 2022 à l’Association pour la Danse Contemporaine de Genève (ADC) en collaboration avec Perrine Cado et Rudy Décelière, Antonio Cuenca et les performers Adaline Anobile, Steven Michel et Jonas Chéreau. L’enjeu c’est de proposer une expérience corporelle au spectateur, de l’immerger dans un environnement sensible qui invite à méditer, à penser, à travailler l’expérience de nos conditions d’existence, ce qui nous constitue et ce que nous façonnons, mais dans une dynamique positive qui convoque l’imaginaire. »

Pour en découvrir davantage sur le travail d’Aurélien Dougé, voici un lien vers son site : http://www.inkorpercompany.com/

Interview réalisée par Valentine Meyer le 24 Mai 2020 à Paris.

Aurélien Dougé, choreographic artist.

« In fact, I became a dancer thanks to the meetings. I come from a rural village. My sister was dancing, so I went to a class too. And then it happened, because of meetings and teachers who advised me, I went to the conservatory. I trained as a very institutional classical dancer thanks to these meetings. But throughout this journey, I have always conducted my own research, with the students of the School of Fine Arts in Leipzig or Lyon. I gradually slipped towards creation. I realized that the act of creating corresponded more to my personality, it fed me more and more in terms of meetings elsewhere.

Today I define myself more as a choreographic artist than as a choreographer. My job is to create projects around the body in space, and it’s not just about movement writing.”

Born in 1986, Aurélien Dougé was trained in dance at the Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon. Between 2007 and 2014, he performed for Dantzaz Compania/Ballet de Biarritz (Spain/France), Leipzig Opera (Germany), Norrdans (Sweden) and the Ballet du Grand Théâtre de Genève (Switzerland). Today, he continues his career as a dancer and performer with choreographer Cindy Van Acker and director Roméo Castellucci. Jointly, within the Inkörper Company that he founded, Aurélien Dougé conducts his own research and creations in collaboration with artists, technicians and thinkers from different backgrounds. His creations were recently presented in Geneva (Espace d’art contemporain – Halle Nord, Association pour la Danse Contemporaine (ADC), Festival Antigel, MEG, Musée d’Ethnographie. In France (Maison des Arts-Centre d’Art Contemporain de Malakoff, Festival d’Art de l’Estran), in Italy, in Naples (Altofest festival) or Matera (Matera 2019 – European Capital of Culture). 

He is currently preparing a new creation for 2022.

« Since 2018 and Mouvement d’ensemble, I’ve really been exploring the field of installation and performance. What interests me is to confront the spectator with environments or devices that provoke a direct physical, sensory and psychological experience. I probe the relationship of the body to space, I investigate our relationship to others, to the living, to the non-living, on porosity with what creates an environment. It calls into question the place of the human.

I like the definition of the environment given by Vinciane Despret (in Magazine Mouvement 105, Après la nature, janv 2020): « Milieu  » un french avoids the term « environment », which has all the flaws, since it puts us in a central and external position. What surrounds us is what is around us that we are not part of. With “milieu” on the other hand, we don’t know who is at the centre, and it raises the question of who counts. We must then conduct a serious investigation to inventory it completely; and even when it is finished, we are never sure that we have not forgotten anyone». 

In terms of the process of creation, I am always very attracted to matter like ice, earth, sand or immaterial like sound, water vapor. For Ensemble Movement (Sacre) I used these natural materials to arrange the space. There was also a mode of repetition and endurance, simple and archaic gestures to better question our modes of perception of time and space, our habits of seeing, our prejudices of attention or inattention. As Perec wrote, I like to “resurrect the infra-ordinary”.

The question I also ask myself is how to prepare the public, to “condition” them until they arrive in space. They are often different invisible thresholds that it will have to pass before entering the space of representation. From there I always work in collaboration with mainly Perrine Cado and Rudy Décelière and the performers who will also make the device evolve and accompany the visitor in his experience.

Thus in Au risque de, the spectators are welcomed by the performers. Pairs are formed between strangers, where one guides the other with closed eyes for a quarter of an hour outside the building before reversing the roles and then joining the inside of the building for the show itself. The experience is new: It is about being blind to test your confidence in others, the other you do not know and being immersed in a parallel reality.

Yes, the artist is the one who proposes a different experience from the real. In my opinion, art reveals as much as it shapes our apprehension of the world. It leads to thinking or feeling differently.

My work of reflection is very much inspired by contemporary philosophy and anthropology, in addition to the experience of reality, nature and the work of previous creations.

The books that accompany me are Les Aliments, Philosophie du corps politique by Corinne Pelluchon, which speaks of vulnerability to rethink the relationship of man to the world; the works of Bruno Latour and those of Augustin Berque, Rupture(s) by Claire Marin, The Fragility of Miguel Benasayag, and then those of the travelling geographer and anarchist Elisée Reclus, considered the precursor of ecological thought. Eloge du risque d’Anne Dufourmantelle inspired me with the title of my previous creation.

I had a very good experience with containment. I was just finishing my residency at the Cité des Arts in Paris thanks to the Simon I. Patiño -City of Geneva scholarship. This gave me two more months to continue my reflection on the themes on which I have been working for a long time: fragility, precariousness, relationship to others and the environment. There with Covid 19, it became a very concrete experience. And then every day in Le Monde,  there was an article on these subjects.

What I missed was the physical relationship with others and that all cultural activity was stopped, not being able to go to the theatre, for example.

The fact that everything stops all at once raises questions. Not only in my practice but also in the way I live on a daily basis, I wonder how to participate concretely in the construction of the society in which I want to live, and beyond, to leave behind me.

I would like us to remember this, the issue of precariousness, and the responsibility of each one towards the others.

You’re asking me about my plans. I was able to take advantage of this residency at the Cité des Arts to start a new one, echoing Mouvement d’ensemble and Au risque de. I borrowed the title from a haiku by the Japanese poet Kobayashi Issa (19th century):

All in this world on the crest of a hell to contemplate the flowers.

I had found it before the pandemic that reinforced this thinking. This next creation refers to our precarious situation, to our way of understanding our times as well as our uncertain future. It is planned for 2022 at the Association for Contemporary Dance of Geneva (ADC) in collaboration with Perrine Cadio and Rudy Décelière, Antonio Cuenca and the performers Adeline Anobile, Steven Michel and Jonas Chéreau. The challenge is to offer a bodily experience to the spectator, to immerse him in a sensitive environment that invites us to meditate, to think, to work the experience of our conditions of existence, what constitutes us and what we shape, but in a positive dynamic that summons the imagination.”

To find out more about Aurélien Dougé’s work, here is a link to his site:

http://www.inkorpercompany.com/

Interview conducted by Valentine Meyer on May 24, 2020 in Paris.

Un avis sur « Aurélien Dougé, artiste chorégraphique »

  1. Bonsoir Valentine, L’article m’a intéressé il illustre la multiplicité des façons d’aborder la complexité

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