
« Je suis entré à l’école d’arts Visuels de Genève (l’actuelle HEAD) avec l’idée de faire de la vidéo et du son. Au cours de la première année, je ne me suis pas entendu avec les profs autour du travail vidéo, alors je me suis focalisé sur le son, j’expérimentais dans les espaces de l’école, j’y installais des petits objets sonores. Et puis en 1998, à la Biennale de Venise j’ai découvert Max Neuhaus, son travail du son dans l’espace public et comment les gens y réagissaient. Depuis lors j’essaie par mes installations de susciter l’écoute, de chercher à développer une attention d’habitude assez ténue à cet endroit.
Ma première oeuvre c’est Mille mètres sur terre en 2003, à la fin de mes études. Dans un champ en friche, pour un festival, j’ai planté 1056 petites tiges avec au bout de chacune un haut-parleur comme une fleur. Le public pouvait déambuler dans cette nappe sonore. C’est ce qui m’a lancé et m’a donné envie d’explorer le son fondu dans l’espace sonore existant combiné à un aspect visuel assumé comme élément important et structurant de l’installation. »

Né en 1979 à Tassin la Demi-Lune, Rudy Decelière est connu pour ses installations visuelles et sonores, ligne de crête entre nature et artifice, poésie et expérimentation technique. Il s’agit de faire silence, pour écouter et voir un nouveau paysage sonore contemporain. Il provoque de prime abord une énigme sensorielle. Quelque chose nous échappe, afin de nous faire parvenir à sentir, après un laps de temps, le lien entre notre corps le son et l’espace. Son travail a été montré dans de nombreuses expositions notamment à Olten, Lausanne, Genève, Avignon, Rennes, Lille, Valparaiso, Ekaterinburg, Berlin, Gdansk et Bâle. L’exposition monographique L’Accalmie des Paradoxes qui lui est actuellement consacrée à La Ferme Asile à Sion, sera prolongée jusqu’au 5 Juillet 2020.
« L’art selon moi est un métalangage, c’est-à-dire un langage propre, une manière d’expérimenter quelque chose qui n’existe pas dans le langage courant. L’artiste essaie de créer d’autres mots, un contenu et une manière de le dire qui échappe aux conventions communes en vigueur. L’artiste ouvre le champ des possibles, de ce qui peut être dit ou compris. Sans même parler d’un contenu spécifique, c’est cela son rôle fondamental et la base commune à tous les arts.
Dans mon processus de travail, je commence par me rendre dans le lieu qui va accueillir l’installation. Je prends le temps sur place pour comprendre l’environnement urbain, l’architecture, l’acoustique. En fait c’est peut-être une approche plus romantique que méthodique (Rires). Après l’incubation des données du lieu, je laisse du temps, et des images mentales apparaissent. Je fais des petits croquis à l’ordinateur ou à la main, parfois une petite maquette. Et comme souvent il y a une imbrication d’éléments techniques avec l’ élément sculptural, il faut que j’essaie de manière empirique, que je vois si c’est réaliste. Ce qui m’intéresse, c’est de trouver l’équilibre entre les deux et que l’on reste en tension.

Pour la pièce in situ Non-dits, à la Ferme Asile, j’ai enlevé le plancher et placé 200 petits marteaux pilotés électriquement qui viennent tapoter de manière très légère sous les larges lattes de bois. Le son est assez abstrait, mais comme les tapotements sont très rapides et que j’ai placé dans le même espace une vidéo du Rhône qui coule; par association d’idées, cela donne l’idée de l’eau, de la pluie qui tombe sur un toit. Non dits est une pièce invisible. A côté J’irai avec elle est une vidéo muette. J’ai filmé le cours du fleuve avec un drone à la vitesse de l’eau. Visuellement on a parfois l’impression que l’eau est quasi statique et que c’est le paysage qui bouge, comme si on était le cours d’eau. Et ensuite j’ai placé des petites brindilles d’herbe organisées en cercle et mises en vibration quasi-silencieuse. D’ailleurs pour cette exposition si j’ai filmé quelques fragments du Rhône, j’aimerais continuer à le suivre et aller jusqu’à Marseille.

Tu me demandes mes sources d’inspirations en plus de Max Neuhaus. Je pense d’abord à Alvin Lucier, pionnier américain de l’art sonore. Il a travaillé sur la phénoménologie et l’installation d’objets sonores de manière très élégante. Il y a aussi Morton Feldman et ce serait difficile de ne pas citer John Cage. En fait, plus que qui ou quoi, là où j’ai le plus de visions, c’est pendant les concerts de musique expérimentale, comme par exemple ceux de la Cave 12 qui est un lieu important pour ça.
En Suisse on n’a pas eu de confinement total, mais c’était difficile vu le flou artistique sur la question. On nous demandait d’aller travailler et de rester confiné. J’ai eu comme un moment de schizophrénie car avec mes différentes activités, je ne peux pas tout faire en télétravail. Finalement je suis resté travailler chez moi. J’ai eu la sensation étrange de faire une résidence mais à la maison, car en fait j’y suis rarement. Je pense que c’est trop court pour qu’on en retienne vraiment quelque chose. En tout cas le ralentissement de cette frénésie, cela fait du bien et donne du recul. Et puis c’est fou comme le paysage sonore s’est modifié, on entend tellement de choses sans avion qui passe, c’est unique.
Du fait du Covid 19, j’ai eu des projets décalés, mais celui qui prend tout mon temps actuellement c’est l’installation lumineuse prévue pour le Pavillon de la Danse en construction à Genève qui va ouvrir en 2021. Cela va être permanent, c’est un défi pour moi. Et puis je devais faire une résidence avec l’artiste colombienne Alba Triana, elle vient de la musique et s’intéresse beaucoup à l’électro-magnétisme; c’est ajourné. Et je suis heureux que mon exposition à la Ferme Asile ait réouvert et soit prolongée.
Pour en savoir plus sur le travail de Rudy Decelière, voici un lien vers son site : https://www.rudydeceliere.net/f_install.html
et un lien vers la Ferme-Asile : http://www.ferme-asile.ch/Home
Interview réalisée par Valentine Meyer le 15 Mai 2020 par téléphone.

Rudy Decelière, the art of sound installations
« I entered the School of Visual Arts in Geneva (the current HEAD) with the idea of making video and sound. During the first year, I didn’t get along with the teachers about the video work, so I focused on the sound, I experimented in the school spaces, I installed small sound objects. And then in 1998, at the Venice Biennale I discovered Max Neuhaus, his sound’ work in the public space and how people reacted to it. Since then I try by my installations to encourage listening, to seek to develop a rather tenuous attention usually at this place.
My first work is Mille mètres sur terre in 2003, at the end of my studies. In a fallow field, for a festival, I planted 1056 small stems with at the end of each a speaker like a flower. The audience could walk around in this sound sheet. This inspired me and inspired me to explore the sound melting in the existing sound space combined with a visual aspect assumed as an important and structuring element of the installation.”
Born in 1979 in Tassin la Demi-Lune, Rudy Decelière is known for his visual and sound installations, a line between nature and artifice, poetry and technical experimentation. It is a question of silence, to listen and see a new contemporary sound landscape. At first glance, it provokes a sensory enigma. Something escapes us, in order to get us to feel, after a period of time, the link between our body and space. His work has been shown in numerous exhibitions including in Olten, Lausanne, Geneva, Avignon, Rennes, Lille, Valparaiso, Ekaterinburg, Berlin, Gdansk and Basel. The monographic exhibition L’Accalmie des Paradoxes, which is currently dedicated to La Ferme Asile in Sion, will be extended until July 5, 2020.
« Art in my opinion is a metalanguage, that is to say a language of its own, a way of experiencing something that does not exist in everyday language. The artist tries to create other words, a content and a way of saying it that escapes the common conventions in force. The artist opens the field of possibilities, of what can be said or understood. Without even talking about a specific content, this is its fundamental role and the basis common to all the arts.
In my work process, I start by going to the place that will host the facility. I take the time on site to understand the urban environment, architecture, acoustics. In fact, it may be more romantic than methodical (Laughter). After the incubation of the data of the place, I leave time, and mental images appear. I make small sketches by computer or hand, sometimes a small model. And as often there is an interweaving of technical elements with the sculptural element, I have to try empirically, that I see if it is realistic. What I’m interested in is finding the balance between the two and staying in tension.
For the in situ installation Non-dits, at the Ferme Asile, I removed the floor and placed 200 small electrically controlled hammers that come to tap very lightly under the wide wooden slats. The sound is rather abstract, but as the taps are very fast and that I have placed in the same space a video of the flowing Rhone; by association of ideas, it gives the idea of water, of the rain that falls on a roof. Not said is an invisible piece. Next to it I will go with it is a silent video. I filmed the course of the river with a drone at the speed of water. Visually we sometimes get the impression that the water is almost static and that it is the landscape that moves, as if we were the stream. And then I placed small grass twigs organized in a circle and placed in almost silent vibration. Moreover for this exhibition if I filmed some fragments of the Rhône, I would like to continue to follow him and go to Marseille.
You ask me my sources of inspiration in addition to Max Neuhaus. I think first of Alvin Lucier, American pioneer of sound art. He worked on phenomenology and the installation of sound objects in a very elegant way. There is also Morton Feldman and it would be difficult not to quote John Cage. In fact, more than who or what, where I have the most visions, it is during the concerts of experimental music, such as those of Cave 12 which is an important place for that.
In Switzerland there was no total confinement, but it was difficult given the artistic blur on the issue. We were asked to go to work and stay confined. I had like a moment of schizophrenia because with my different activities, I can’t do everything remotely. Finally I stayed to work at home. I had the strange feeling of making a residence but at home, because in fact I am rarely there.
I think it’s too short for us to really hold anything back. In any case the slowing down of this frenzy, it feels good and gives back. And then it’s crazy how the sound landscape has changed, you hear so many things without a plane passing, it’s unique.
Because of the Covid 19, I’ve had some off-the-wall projects, but the one that takes all my time right now is the light installation planned for the Pavillon de la Danse under construction in Geneva that will open in 2021. It will be permanent, it is a challenge for me.
And then I had to do a residency with the Colombian artist Alba Triana, she comes from music and is very interested in electromagnetism; it is postponed. And I’m glad that my exhibition at the Asylum Farm reopened and was extended.
To learn more about Rudy Decelière’s work, here is a link to his website:
https://www.rudydeceliere.net/f_install.html
and a link to Ferme-Asile: http://www.ferme-asile.ch/Home
Interview conducted by Valentine Meyer on May 15, 2020 by phone.